Je me suis souvent demandé ce qui m’a poussé, en plein carnaval 1997, à arriver à Bahia, pas loin de l’endroit où les Portugais ont débarqué en l’an 1500, avec l’idée de ne pas revenir. Amoureux du monde, de l’aventure et des hommes, j’ai ensuite voyagé pendant des mois dans les recoins sauvages de ce pays-nature, demandant chaque jour sur ma route le gîte et le couvert, ou étendant mon hamac entre deux arbres. Cette terre, je le sais à présent, m’a appelé, et je me suis livré à elle en confiance comme dans les bras d’une mère.
Quelques années après ce voyage initiatique, je décide une fois pour toutes que “gagner ma vie” dans une grande ville ne m’intéresse pas, et je m ‘installe dans un petit village de pécheurs au bord de la mer, dans le paradis préservé de Picinguaba, au plus près de cette nature aimée. Là, je retape une vielle bâtisse qui devient un lieu de ressourcement où l’on vient bientôt du monde entier. J’y apprends à quel point notre civilisation nous a séparé de la douceur de notre terre-mère, et par là-même sans doute de notre conscience du monde et de nous-mêmes.
J’apprends par la suite que l’édifice colonial de la Fazenda a été construit par l’arrière-grand-père de Luis Pedro, Français venu de Lyon (comme moi) au Brésil en 1840. Son arrière-petit-fils a dédié sa vie à ce lieu et à son entretien, et s’en est occupé jusqu’à sa mort à 82 ans, dans la force de l’âge, en novembre 2021, une fois sa mission accomplie, m’en repassant en quelque sorte la responsabilité. Nous nous considérions implicitement de la même famille, faisant le même travail avec la même intention. Durant les 13 années passées ensemble, je ne l’ai jamais vu sans une vigueur extraordinaire, son sourire franc et sa gentillesse légendaire. Le matin de sa mort, il cultivait comme chaque jour l’immense jardin potager dont il s’occupait entre multiples autres tâches.
A ce moment-là de ma vie, mon premier fils venait de naître, et je m’étais bien promis de ne plus jamais me lancer dans une aventure comme celle-là, après 7 ans à batailler pour créer un petit hôtel diffèrent au bord de la mer, à Picinguaba. Je voulais y vivre tout en recevant des personnes comme moi fascinées par la nature et attachées à une certaine conception des liens humains, mais l’expérience ne fut pas pour autant toujours facile. Pourtant, ce jour-là, à Catuçaba, acquérir une propriété dont je ne savais même pas si elle était à vendre, dont je ne connaissais pas la taille et n’avais pas encore une idée précise de la charge énorme que son entretien représentait, n’aurait pu arrêter un instant la décision immédiate de m’installer en cet endroit. Il me semblait de plus le lieu idéal pour élever une jeune famille. Toutes les nécessités financières et les alliés naturels sont alors apparus rapidement, comme pour confirmer ce fait irrévocable du destin. Une nouvelle histoire commençait.
Catuçaba est ainsi devenu un endroit où chacun, souvent sans le savoir, vient à la rencontre de ses propres réponses, pour réaliser ce qu’il contient en lui. Un lieu où la Nature, comme une mère retrouvant ses enfants après une longue errance, nous met face à nous-mêmes et à notre identité véritable, à notre mission de vie, que ce processus soit conscient ou non. C’est un lieu guérisseur qui est ouvert à tous, mais pas à n’importe qui, que l’on aborde avec humilité et en prenant le temps nécessaire.